Le Mozambique, la Nouvelle-Zélande, la province du Saskatchewan au Canada et l’Uruguay : tels sont les quatre pays sur lesquels s’est penché le Centre d’études et de prospective (ministère de l’Agriculture). Son étude a consisté à analyser les dynamiques à l’œuvre en matière de financiarisation de la production agricole, autrement dit de la prise de contrôle de foncier agricole par des acteurs financiers. Il peut s’agir de fonds de pension et d’investissement, de grandes fortunes individuelles, de firmes liées à l’agrobusiness, d’entrepreneurs de travaux agricoles ou encore d’épargnants individuels.
LES STRATÉGIES D’INVESTISSEMENT
L’étude décrypte quatre stratégies d’investissements, à savoir l’achat location (donc sans participation à l’acte de production), l’achat revente (après travaux d’amélioration foncière), l’achat-production (faire-valoir direct) et enfin la location production (avec notamment à l’œuvre des entrepreneurs de travaux agricoles). L’achat location est jugé peu risqué et sa rentabilité limitée, avec un Taux de rentabilité interne (TRI) inférieur à 10%. L’achat revente recèle une forte dimension financière et spéculative et s’avère potentiellement très rentable (TRI > 20%). Plus risqué, l’achat production est crédit d’un TRI compris entre 10% et 15%. Attirant des investisseurs opportunistes, avec apports de capitaux quand les prix agricoles sont élevés et retraits lorsqu’ils diminuent, le TRI de la location production peut dépasser les 20% si les prix sont satisfaisants mais cette stratégie est soumise aux aléas inhérents à la production agricole.
LES CONDITIONS ÉCONOMIQUES, TECHNIQUES ET POLITIQUES
La financiarisation concerne des régions du monde où le maillage foncier permet la constitution de grandes unités de production, et où le développement agricole s’appuie sur des paquets techniques très productifs et standardisés (semences OGM, glyphosate, semis direct en Uruguay, irrigation par pivot, salles de traites rotatives automatisées, sous-traitance en Nouvelle- Zélande, etc.). Les politiques publiques jouent aussi un rôle dans la financiarisation du foncier agricole : ouverture de l’accès au foncier, politiques fiscales et macro- économiques incitatives, baisse du coût du travail.
ENJEUX ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX
La financiarisation est systématiquement présentée comme le moyen de soutenir un développement agricole nécessitant de grandes quantités de capitaux, que le crédit à l’agriculture ne peut satisfaire seul. L’étude relativise l’argument, faisant le constat d’échecs sinon d’absence d’effet (en matière d’emploi notamment), mais pas d’effets pervers : accaparement de richesses quittant le territoire, hausse du prix des terres rendant plus difficile l’accès au foncier pour les candidats à l’installation, standardisation des pratiques agricoles, impacts sur la biodiversité, la qualité des sols, la ressources en eau.
QUELLE DYNAMIQUE À L’ŒUVRE ?
Amorcée dans les années 1990 aux États-Unis, la financiarisation se développe à la faveur de la crise financière de 2008 et de la flambée des prix agricoles. Nombre d’investisseurs anticipent, pour les décennies à venir, à la fois une hausse de la demande alimentaire mondiale (sous l’effet notamment de l’accroissement démographique) et des tensions du côté de l’offre (du fait entre autres du changement climatique). À partir de 2015, les investissements dans le foncier agricole marquent le pas, sous l’effet de mécanismes de régulation aux plans économique, social et environnemental et de la tendance à la baisse des prix des produits agricoles après le pic de 2012, dissuadant les investisseurs aux exigences de rentabilité les plus élevées (fonds de pension et d’investissement). Ce ralentissement des investissements pourrait toutefois être remis en cause si le contexte politique et surtout économique évoluait dans une autre direction. En particulier, la hausse des prix agricoles observée en 2021 pourrait, si elle se confirmait, engendrer une reprise, conclut l’étude.