Dans notre précédent numéro*, nous abordions les atouts que représente, dans certaines circonstances, le recours, pour une famille recomposée, à une société pour investir dans une résidence secondaire et en assurer sa transmission. Nous retrouvons cette société civile immobilière (SCI) 10 ans plus tard. L’un des enfants du couple, engagé dans une procédure de divorce, a besoin de liquidités et souhaite vendre la maison acquise par la SCI ou sortir de la société.
DANS CE CONTEXTE, QUELLES SOLUTIONS S’OFFRENT À LA FAMILLE ?
Gaëlle Chérif : Il y en a plusieurs. La famille peut envisager de vendre la maison, projet qui appelle plusieurs points de vigilance. Les statuts auront pris soin de prévoir les modalités entourant cette décision. Qui a le pouvoir de décider de la vente : les gérants ou les associés ? Auquel cas, à quelle majorité ? Pour éviter des blocages qui se rencontrent couramment en présence d’une indivision, les statuts de la SCI auront déterminé, à l’avance, les règles de décision en fonction des souhaits de la famille. Ensuite, il convient d’envisager le traitement fiscal de la plus-value dégagée par la vente.
JUSTEMENT, QUEL EST-IL ?
GC : Les plus-values immobilières réalisées par une société civile imposée à l’impôt sur le revenu (IR) sont déterminées au niveau de la société selon les règles des plus-values immobilières des particuliers majorés des prélèvements sociaux, au prorata de leurs droits dans la société. Ainsi, si la société est imposée à l’IR, l’impôt et les prélèvements sociaux sont acquittés par la société civile patrimoniale pour le compte des associés personnes physiques présents à la date de la cession de l’immeuble. Les taux applicables sont de 19% pour l’IR et 17,2% pour les prélèvements sociaux. Néanmoins des abattements s’appliquent pour durée de détention (ici 10 ans).
En cas de démembrement des parts de la SCI, les associés sont redevables de l’impôt de plus-value et c’est la société qui, en pratique, verse l’impôt. En l’absence de convention contraire, l’administration fiscale met à la charge du nu-propriétaire (en l’espèce, les enfants) l’imposition de la plus-value qui constitue un revenu exceptionnel. Enfin, si la société a opté pour l’impôt sur les sociétés (IS), régime qui permet d’amortir le bien, la plus-value est imposable au taux de l’IS. Par ailleurs, la distribution de dividendes, qui répondra aux besoins de l’enfant divorcé, sera taxable à l’IR. Pour les autres associés, aucune imposition ne sera due en l’absence de sortie de fonds de la société.
QUE PEUT FAIRE LA SOCIÉTÉ DU CASH DÉGAGÉ PAR LA VENTE DE LA RÉSIDENCE SECONDAIRE ?
Audrey Vérité : Une fois qu’elle aura désintéressé le fils, la société peut tout à fait réallouer les capitaux dans tout type d’investissement : immobilier, pierre-papier, contrat de capitalisation, immobilier défiscalisé, etc. Tout est possible tant que son objet social le prévoit. L’objet social peut parfaitement évoluer et être modifié dans le temps en fonction des projets des associés.
EXISTE-T-IL UNE LIMITE AU RÉINVESTISSEMENT PAR LA SOCIÉTÉ ?
AV : Toutes les réallocations peuvent être envisagées mais il faut tenir compte de certains dispositifs inadaptés et des contraintes liées à cet investissement via une société. Par exemple, pour un investissement Pinel ou Denormandie, la société ne doit pas être imposée à l’IS. Et comme en matière d’investissement direct, les choix doivent être cohérents avec les projets des associés à court, moyen et long terme.
GC : Il en va de même pour un projet de location meublée. Comme il s’agit d’une activité commerciale, la SCI qui la pratiquerait est susceptible de faire basculer le régime fiscal vers l’IS. Le maintien à l’IR, s’il devait être privilégié, réclamerait de transformer la SCI en SARL de famille ou société en nom collectif (SNC). Les formes sociales doivent être examinées à l’aune de toutes leurs spécificités comme le régime social du dirigeant et la responsabilité des associés.
QU’EST-CE QUE CELA IMPLIQUE EN TERMES DE RESPONSABILITÉ ?
AV : Certaines sociétés comme les SNC soumettent les associés à une responsabilité solidaire et indéfinie, et excluent certains associés du fait de leur profession.
COMMENT ARTICULER LA VENTE DU BIEN ET LA SORTIE DE L’ASSOCIÉ ?
GC : Une fois que la vente du bien a été réalisée, la SCI peut racheter les parts du fils désireux de quitter la société et procéder à une réduction de capital. Les associés restants repartent sur de nouvelles bases.
EST-CE QUE LA VENTE DE LA RÉSIDENCE SECONDAIRE PEUT ETRE ÉVITÉE ?
GC : Si les autres membres de la famille sont attachés à la maison et dans la mesure où ils en ont les moyens financiers, ils peuvent envisager de racheter les parts sociales du fils dans le besoin. Les statuts auront anticipé ce cas, par l’insertion d’une clause d’agrément spécifique, voire de préemption. La première permet de contrôler l’entrée au capital d’un tiers en la soumettant aux associés, et la seconde permet aux associés d’être prioritaires dans l’acquisition des parts d’un associé vendeur. Le fils doit donc pouvoir trouver acquéreur au sein de sa famille. Tout risque de blocage ou de situation subie peut se trouver écarté à condition que les statuts soient rédigés avec le plus grand soin.
COMMENT S’ASSURER QUE LA SOCIÉTÉ, COMME OUTIL DE GESTION DU PATRIMOINE FAMILIAL, NE REPRÉSENTE PAS UN FREIN AUX PROJETS INDIVIDUELS ?
AV : Le recours à la société offre aux familles un cadre idéal pour leur stratégie d’investissement et de transmission mais son succès repose sur une vision globale et affinée de l’environnement familial toujours unique des projets communs et individuels de la famille. Et pour qu’elle évolue au gré des événements de celle-ci (mésentente, mariage, divorce, décès, etc…), y survive et soit pérenne, il est impératif que les solutions d’anticipation aient été prévues en amont. C’est la raison pour laquelle l’outil doit être conçu avec le plus grand soin avec les conseils habituels (notaire, avocat, expert-comptable) et le conseiller en banque privée.
* « La société patrimoniale : de nombreux atouts », Regards partagés de Juin-Août 2020 (pages 6 et 7)