Une question récurrente se pose pour les familles qui construisent un patrimoine immobilier à travers une société patrimoniale : la société doit-elle être assujettie à l’impôt sur le revenu (IR) ou à l’impôt sur les sociétés (IS) ?
Le régime retenu impacte la fiscalité de la détention et de la cession du bien immobilier.
Quels sont les critères qui vont guider les familles dans ce choix fiscal ?
Michèle Espilondo : Il n’existe pas de régime fiscal universel adapté à toutes les configurations. Chaque régime présente désintérêts et des inconvénients. Le bon choix est celui qui tient compte des objectifs de la famille et de l’environnement fiscal des associés de la société.
La question se pose-t-elle pour une acquisition destinée à la jouissance ?
ME : L’intérêt de l’IS réside surtout dans la fiscalité des revenus.
En l’absence de loyers, cette option est inutile, voire dangereuse, car le bien s’amortit et sa revente génère une fiscalité importante à l’IS. L’option IS est donc à proscrire si le bien immobilier est destiné à la jouissance de la famille.
Si le bien procure des revenus, quel est alors le régime le plus adapté ?
ME : Là encore, la réponse n’est pas unique !
Les associés ont-ils besoin de se distribuer les revenus générés par la société ? Ces revenus servent-ils au remboursement d’un emprunt contracté par la société ou au financement de travaux sur le bien ?
Si les associés souhaitent percevoir les revenus sous forme de dividendes, la société doit dégager des bénéfices. Cela signifie qu’elle ne doit pas avoir de charges supérieures ou égales aux revenus. Dans l’option à l’IS, les bénéfices sont une première fois imposés au niveau de la société (lire ci-dessous), puis entre les mains des associés.
Dans une moindre mesure, les associés ont le choix entre l’imposition des dividendes au prélèvement forfaitaire unique (12,8% auxquels s’ajoutent 17,2% de prélèvements sociaux en 2020) ou au barème progressif de l’IR après abattement de 40% (plus les prélèvements sociaux). À cet égard, cette option à l’IS est fiscalement coûteuse.
Si les loyers servent à financer un crédit ou des dépenses d’amélioration, alors l’IS peut être préférable. Les dépenses sont déduites du résultat et les immeubles sont amortis, générant une charge « fictive » qui vient diminuer le résultat, mais qui permet à terme de constituer, dans la société, une trésorerie pouvant être réinvestie. Du point de vue de la fiscalité privée des associés, ces opérations sont neutres.
Audrey Vérité : Rappelons que pour bénéficier de certains dispositifs fiscaux du type Pinel, Denormandie ou Malraux, la société doit être assujettie à l’IR. Cela est à prendre en compte si le projet familial est de réaliser de tels investissements.
Quels grands principes applicables en fonction de la fiscalité choisie pour la société ? :
Impôt sur le revenu : les résultats de la société sont taxés entre les mains des associés proportionnellement à leur quote-part dans le capital. Ces revenus s’ajoutent aux autres revenus de l’associé et sont taxés à la tranche marginale d’imposition du contribuable, au titre des revenus fonciers.
Impôt sur les sociétés : les bénéfices éventuellement dégagés sont imposés à l’IS, dont le taux varie en fonction du chiffre d’affaires de l’année comptable et des bénéfices.
En 2020, 15% jusqu’à 38 120€, et 28% au-delà.
Du point de vue de la cession du bien, est-il préférable que la société soit à l’IR ou à l’IS ?
ME : Lorsque la vente du bien immobilier dégage une plus-value, l’assujettissement à l’IR est a priori préférable. Dans ce cas, en effet, les associés peuvent appliquer des abattements pour durée de détention, qui conduisent à une exonération totale d’IR au bout de 22 ans, et de prélèvements sociaux au bout de 30 ans.
Dans une société à l’IS, la plus-value se calcule en déduisant du prix de cession la valeur nette comptable : plus le bien est amorti, plus la plus-value taxable à l’IS sera importante. Ensuite, se repose ici la question du sort du fruit de la vente : si les associés veulent percevoir leur part, ils devront alors procéder à une distribution et en subir la fiscalité à titre privé.
Une autre option à envisager est de céder les parts de la société plutôt que le bien lui-même, en fonction du capital social investi et de la date de création de la société, mais ce n’est pas toujours l’option idéale pour l’acquéreur !
AV : La cession du bien illustre parfaitement la complexité du sujet. Chaque régime présente ses propres avantages et inconvénients. À cela s’ajoute le fait que les objectifs peuvent se croiser ou évoluer au fil du temps et des besoins de chacun. Comme nous l’avions envisagé dans le volet précédent de cet article (1), un membre de la famille peut avoir besoin de percevoir des revenus plus que d’autres, et susciter la vente du bien avant une détention longue, ce qui peut remettre en cause le schéma initialement mis en place. Il est donc essentiel d’adopter des solutions sur-mesure.
Quid de l’IFI (2) ?
AV : Ce qui est déterminant en matière d’IFI, c’est l’affectation des biens immobiliers détenus, que ce soit en direct ou via une société, et quel que soit le régime fiscal. S’ils sont affectés à une activité professionnelle, il faut examiner s’ils peuvent être exonérés.
ME : La détention d’un immeuble par une société peut avoir une incidence sur l’assiette de l’IFI. Ainsi, si la résidence principale est logée dans une société civile, ses propriétaires ne peuvent pas bénéficier de l’abattement de 30% à l’IFI. L’évaluation d’un immeuble ou de parts de société à prépondérance immobilière est toujours une opération délicate qu’il convient de confier à des professionnels de l’immobilier, tant pour les besoins de l’IFI que pour éviter un faux pas dans un projet de vente, de donation ou d’apport.
Et du point de vue donation et succession, le choix IS/IR est-il aussi neutre ?
AV : Oui, la transmission de parts sociales ou d’actions par donation ou succession est soumise aux mêmes droits de mutation à titre gratuit, quel que soit le régime fiscal de la société (IR ou IS). La différence repose sur la transmission du bien en direct ou via des parts sociales ou actions de société. Dans la première hypothèse, c’est la valeur des biens immobiliers qui est prise en compte pour le calcul des droits de donation et de succession. Alors que si vous transmettez des parts sociales, c’est leur valeur après déduction du passif social qui est prise en compte. Mais dans ce cas, il faut considérer les conséquences liées aux comptes courants d’associés qui pourraient être générés du fait du remboursement du passif par des associés après la donation. Comme pour toute opération patrimoniale, la transmission s’envisage globalement et non pas uniquement sur les gains fiscaux potentiels. Votre conseiller en banque privée est en mesure de vous accompagner sur ce sujet avec vos conseils habituels (notaire, avocat, expert-comptable...).
Pour l’IR
- Une tranche marginale d’imposition souvent pénalisante.
- Une déduction forfaitaire ou réelle faible.
- Une imposition sur un résultat dégagé.
- Mais une exonération de la plus-value pour les contribuables patients !
Pour l’IS
- Un taux d’imposition attractif.
- La déduction des frais réels et l’amortissement.
- Seule la distribution rend exigible un impôt complémentaire.
- Mais une sortie en plus-value souvent très pénalisante !
(1) Regards partagés, édition de septembre-novembre 2020 (article « Investir à travers une société : le sur-mesure est la clé »)
(2) Impôt sur la fortune immobilière
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© Magazine Regards partagés Crédit Agricole Banque Privée – Edit 360 – Novembre 2020
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