POUVEZ-VOUS NOUS EXPLIQUER LE PRINCIPAL ENJEU DE LA PROTECTION DES PERSONNES VULNÉRABLES ?
Philippe Goubet :
C’est un enjeu de société. Conséquence du vieillissement de la population, le nombre de personnes âgées dépendantes va doubler d’ici à 2060. Pour plus de la moitié d’entre elles, l’altération des facultés personnelles se traduit par une mesure de protection juridique. En 2017, la France comptait déjà 730 000 personnes bénéficiant d’une mesure de protection. Face à cette évolution, notre société doit mieux anticiper le vieillissement lorsque la sauvegarde des droits de l’individu et le respect de sa dignité sont en jeu.
QUAND SE PROTÈGE-T-ON ?
PG : Si on exclut le contrat d’assurance “dépendance” qui permet contractuellement d’anticiper sa protection, c’est souvent de façon tardive et subie que la perte d’autonomie apparaît : les proches, voire des relations de confiance tel le banquier, peuvent alors agir pour protéger la personne vulnérable.
Des solutions graduées en fonction du niveau de dépendance peuvent ainsi être mises en place.
Dès lors que l’on ira sur le terrain de la protection par voie judiciaire, l’avis d’un médecin habilité sera nécessaire.
QUELS SONT LES DISPOSITIFS JURIDIQUES PERMETTANT DE PROTÉGER DE LA PERTE D'AUTONOMIE ?
Gilles Raoul-Cormeil : En amont de la perte d’autonomie, chacun d’entre nous peut anticiper les difficultés en autorisant un proche à l’accompagner dans ses démarches. La procuration universelle établie devant notaire permet de faire passer un ou plusieurs actes juridiques par un proche sans que le pouvoir de continuer à décider seul ne disparaisse. De façon plus encadrée, le mandat de protection future, encore trop méconnu, permet à toute personne d’organiser, à l’avance, son éventuelle dépendance en désignant un mandataire chargé de gérer le quotidien, les ressources et éventuellement les biens le moment venu. Si la santé mentale ne permet plus d’assurer son autonomie, il sera temps alors d’activer le mandat s’il existe. Dans la négative, il faudra discuter avec les proches de l’intérêt d’une habilitation familiale ou, à défaut, d’envisager une mesure de curatelle voire de tutelle.
L'HABILITATION FAMILIALE EST UN NOUVEAU DISPOSITIF DE PROTECTION : QUELS EN SONT LES ATOUTS ?
GRC : Elle permet au “conjoint”, aux frère(s) et sœur(s) ou à un descendant de solliciter l’autorisation du juge pour représenter une personne qui ne peut pas manifester sa volonté. Cette mesure de simplification permet aux familles de pourvoir, seules, aux intérêts de leurs proches vulnérables sans se soumettre au formalisme d’une mesure de protection judiciaire lourde, comme la tutelle ou la curatelle. Le contrôle exercé par le juge est plus limité. Ce dispositif est tout à fait adapté au cas d’une personne qui n’aurait qu’un enfant. En revanche, en présence de dissensions familiales ou d’opposition d’intérêts possible, le juge n’optera pas pour ce type de dispositif.
QUEL RÔLE JOUE LA BANQUE DANS LA MISE EN PLACE DES PROCÉDURES DE PROTECTION ?
PG : Le groupe Crédit Agricole s’est mis en mouvement pour mieux accompagner les majeurs protégés et leurs mandataires en créant des structures expertes dédiées. Au-delà des outils mis à disposition du mandataire pour faciliter la mise en œuvre de la protection, son organisation et son suivi, les Caisses régionales ont spécialisé des conseillers dans l’approche patrimoniale spécifique de ces personnes. De façon graduée, en passant de la simple procuration bancaire jusqu’au régime de protection le plus contraignant telle la tutelle, nous pouvons accompagner le mandataire dans ses choix pour faciliter la gestion des comptes et des placements, mais aussi le conseiller dans le domaine assurantiel de son protégé.
COMMENT ARBITRER LES IMPÉRATIFS DE LA PROTECTION ET CEUX DE LA GESTION PATRIMONIALE ?
GRC : La notion de mesure de protection est associée à celles de prudence et de contrôle. Cependant, une gestion patrimoniale efficace a toute sa place dans ce cadre. On ne demande plus au représentant du majeur protégé de gérer un patrimoine en bon père de famille comme par le passé. Désormais, il doit apporter des soins prudents, diligents et avisés et se montrer réactif et dynamique en consultant régulièrement son conseiller. Avec l’appui de professionnels, avocats, notaires, banquiers, il a les moyens de bâtir une stratégie patrimoniale adaptée au cadre spécifique de chaque situation.
LES MISSIONS INTERMINISTÉRIELLE SUR L'ÉVOLUTION DE LA PROTECTION JURIDIQUE DES PERSONNES VIENT DE RENDRE SON RAPPORT. QUELS SONT LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS ?
GRC : Un large consensus s’est fait jour pour sauvegarder les droits des personnes vulnérables dans le respect de leur personnalité et de leur dignité. Les mesures de protection sont difficiles à accepter pour les publics concernés qui perdent tout ou partie de leur autonomie. Une meilleure prise en compte de l’expression de la volonté de la personne vulnérable permettra d’individualiser les mesures de protection.
À cet égard, les techniques contractuelles d’anticipation, telles que les procurations ou le mandat de protection future, répondent à cet objectif.